27.2.08

La politique : le mal absolu

Via le blog d'Anna, en suivant les liens, je suis tombée sur des blogs qui se revendiquent réactionnaires ou nationalistes, ou les deux : les enfants de la zone grise, fromageplus. Je mesure la distance qui me sépare d'eux, même si je préfère les lire plutôt que de subir les imbécillités des gauchistes qui pullulent dans ce pays (sur cozop ils tiennent le haut du pavé, l'idéologie de la spoliation étatique est toujours en tête du hit-parade franchouillard).

Y a pas, les réacs ont du style, mais ils tournent toujours autour de la même contradiction intenable dont ils ne peuvent sortir : l'amour de la liberté allié au collectivisme nationaliste. La zone grise l'exprime bien :
Que mon peuple soit un ramassis de larves attentistes et décérébrées, soit, plus question de le nier ou de le minimiser. Que l’activisme natio soit un jeu de con, puisque l’organisme visé rejette lui-même ses propres anticorps, soit également. Perd-on pour autant son Histoire, son passé, ses racines ? Non. Notre identité perdure. Elle se définit par rapport à la collectivité. Tout le drame et l’ironie de la situation, c’est que ce collectif a accepté son éviction.
Le nationaliste dans les affres de ses contradictions, la déception constante de son "amour taciturne et toujours menacé", voilà qui fait sourire, même si ça a plus de classe que le gaucho de base qui glapit pour la solidarité avec les parasites. Le nationaliste pousse son sentiment national jusqu'aux limites de l'absurde : le collectif national existerait sans les individus ! Les libertariens ont dépassé cette contradiction en ne reconnaissant qu'une seule réalité : l'individu. Tout le reste lui est subordonné : il n'y a pas de réalité humaine qui dépasse l'individu ("mon peuple" dit la zone grise !!). Toutes celles qui ont cette prétention ne cherchent qu'à l'écraser, en réalité au bénéfice de quelques individus plus malins que les autres. Les entités collectives ne sont que des dénominations commodes. Le peuple, la France, stricto sensu, n'existent pas. Comme le dit Schopenhauer, l'histoire du monde est dépourvue de signification métaphysique, elle n'est qu'une configuration accidentelle, seul l'individu est réel. S'attacher à une fiction nationale (ou supranationale, comme l'Europe), c'est faire le jeu des politiciens qui en tirent leur vacillante légitimité par l'imposture de la démocratie dite "représentative".

La critique de l'individualisme absolu qui est le nôtre est toujours la même, tant chez les marxistes que chez les nationalistes. Ils nous reprochent de voir l'individu comme une monade isolée, qui ne comprend pas la réalité collective supérieure (le prolétariat pour les uns, la nation pour les autres). J'ai toujours trouvé cette critique infantile. Il est clair que nous avons besoin des autres, presque constamment d'ailleurs, mais cela ne veut pas dire que le collectif ait le droit de nous opprimer et de nous dicter sa volonté. Le droit de propriété est la limite que l'individu pose devant un collectif toujours porté à violer les droits des personnes sous les meilleurs prétextes. Le consentement est le critère ultime : toute contrainte non consentie imposée par autrui est une agression (dès lors qu'on n'a pas soi-même agressé autrui, bien sûr).

Le nationaliste réac est d'ailleurs mal à l'aise quand il s'attaque aux institutions collectivistes telles que la SS française (fromage plus en parle assez bien ici : du monde). La SS n'est-elle pas un élément essentiel de la "solidarité nationale" (oh la belle expression qui ne veut absolument rien dire) ? Tous les sacrifices ne sont-ils pas justifiés pour le bien de la nation ? Qu'est-ce qu'une personne seule comparée à l'intérêt commun ? (réponse : un pauvre con - Sarkozy, en bon socialiste de droite, a très bien exprimé l'essence du collectivisme français).

La politique est le mal absolu : elle conduit à une oppression qui peut comporter divers degrés, mais qui reste toujours une oppression. Le politicien libéral (il paraît que ça existe, même en France) doit lui aussi gérer sa propre contradiction. En général il n'y arrive pas (voir ceux d'Alternative libérale qui s'entredéchirent joyeusement, tout ça pour quelques miettes de pouvoir). Faut-il s'accommoder du pouvoir en place, de crainte d'en avoir un pire ? C'est ce que les conservateurs (de droite et de gauche) suggèrent. Le libertarien préfère s'organiser pour être à même d'ignorer l'Etat.

27 commentaires:

mordicus a dit...

Bonjour Laure

Je suis un lecteur régulier de ton blog que je trouve pertinent et très drôle. Je me reconnais cependant davantage dans le style des réactionnaires, et je ne souscris pas entièrement à l'idée selon laquelle tout est subordonné à l'individu, sans doute du fait d'un héritage maurrassien que j'assume.
Pour moi, la communauté, fût-elle nationale, précède l'individu car ce dernier, quand il naît, n'apparaît pas ex nihilo mais dans une situation de totale dépendance et de subordination envers sa famille et les autres corps constitués. Ce n'est que progressivement qu'il devient, si tout va bien, une personne à part entière. La communauté est antérieure à l'individu même si l'individu est potentiellement supérieur à la communauté. Je dis "potentiellement" car c'est rarement un fait.

BLOmiG a dit...

Salut,
très bel article, dont je rejoins complètement les principes et les conclusions.
@ Mordicus : la question n'est pas de savoir si l'individu existe sans la communauté...la réponse est évidemment non ! C'est une évidence biologique.
La question centrale est de savoir si nous voulons fonctionner sur des principes de liberté d'échange et de don, ou si nous autorisons la contrainte comme moyen d'échange.
Les libéraux (humanistes) se positionnent clairement là-dessus et répondent : nous ne voulons pas de contrainte arbitraire sur les individus. Seule est juste une société qui traite les individus de manière égal, et ne cherche pas à les rendre égaux (Hayek).
à bientôt !

mordicus a dit...

Je comprends bien ce que vous écrivez lomig: traiter les indivius de manière égale (c'est à dire juste, c'est à dire en proportion de leur mérite)et ne pas chercher à les rendre égaux. Je suis entièrement d'accord.

Je réagissais seulement à une phrase selon moi très discutable de l'article: "Les libertariens ont dépassé cette contradiction en ne reconnaissant qu'une seule réalité : l'individu. Tout le reste lui est subordonné : il n'y a pas de réalité humaine qui dépasse l'individu"
Désolé, mais c'est faux. Cet individu là, qui n'est même pas une personne, cet individu purement numérique, abstrait de toute contrainte est le comble de l'abstraction. Une illusion moderne.

Unknown a dit...

Je pensais à un truc: si les collectivistes haïssent si souvent les Juifs, c'est peut-être parce que ceux-ci ont réussi, et continuent de réussir, à constituer "un peuple" sans le moindre collectivisme pour les y contraindre. (Note: je ne parle pas d'Israël, le territorialisme au nom d'une tribu ou d'une autre étant aussi une forme de collectivisme)

Laure: la politique n'est pas tant "le mal absolu", qu'une de ses expressions les plus néfastes.

Si on prend le Mal Absolu comme une forme de négation de la réalité, à savoir la négation du libre-arbitre bien compris (avec ses conséquences jusnaturalistes propriétariennes ou objectivistes, désolé pour les termes techniques), alors le Mal en tant qu'action humaine est l'agression (au sens libertarien).

La politique en est une forme pire que bien d'autres pour une seule bonne raison: c'est un Mal qui prétend faire le Bien. Et quand on est persuadé de faire le Bien, on n'a aucune raison de se remettre en question et s'arrêter...

"Cet individu là, qui n'est même pas une personne, cet individu purement numérique, abstrait de toute contrainte est le comble de l'abstraction. Une illusion moderne."

Cet individu se comprend comme inclus dans la réalité objective ! Ce n'est pas une donnée, c'est un élément égal à l'observateur qui déclare son existence ! Cette distinction est cruciale.

Dagny a dit...

@ Mordicus: une "communauté", nationale ou autre..., n'est constituée que d'INDIVIDUS, qui ont, ou devraient avoir, le même intérêt, et qui en font partie librement et par choix.

Il n'y a rien en dehors de l'individu. Une communauté n'est pas une entité en soi, nous ne fonctionnons pas comme une ruche ou une fourmillière.

Laure Allibert a dit...

Dans "mes idées politiques" Maurras explique que liberté et égalité sont des illusions, puisque quand nous naissons nous n'avons aucun droit et nous sommes entièrement dépendants d'autrui. Il n'est pas le seul à penser ainsi, certains libéraux (Faguet) pensent de même. Cette critique, qui peut sembler être du bon sens, a le défaut d'extrapoler "trop large". Si on la prend au pied de la lettre, aucune liberté n'est possible en société, on ne devient jamais majeur.

L'homme est un animal social et la communauté (principalement familiale) est le moyen pour lui d'atteindre sa propre autonomie d'individu. Je mets l'individu et la communauté sur le même plan, même si l'une est antérieure à l'autre, et même si l'une est nécessaire à l'autre - la communauté reste composée d'individus qui poursuivent avant tout des buts individuels.

Laure Allibert a dit...

La communauté est en fait un moyen pour l'individu de se réaliser. L'opposition communauté - individu est largement factice, l'histoire montre qu'elle est instrumentalisée pour instaurer divers types d'oppressions. Comment le bien de la communauté pourrait-il être différent du bien de l'individu qui la compose ?

mordicus a dit...

J'ai bien entendu vos arguments, mais je ne suis pas entièrement convaincu et pour être franc, cela m'apparaît comme le point faible des libertariens qui d'autre part ont des choses très intéressantes à dire sur notre société.

"Cet individu se comprend comme inclus dans la réalité objective ! Ce n'est pas une donnée, c'est un élément égal à l'observateur qui déclare son existence !"
C'est justement ce que j'appelle un individu numérique, une abstraction mathématique. Le groupe nominal "individu égal à" est piégé et je préfère parler de personne humaine ce qui inclut nécessairement des liens qui la dépassent, qui la transcendent.
Prétendre qu'il n'y a rien en dehors de l'individu est une illusion, à mon avis, c'est bien la famille qui est le noyau dur des sociétés humaines, et non l'individu.
J'irais même plus loin, le raisonnement qui fait de l'individu l'ultime réalité est digne de Rousseau, c'est avec ce genre d'abstraction mathématique que l'on construit des sociétés composées d'atomes totalement à la merci de la puissance de l'Etat ou d'autres. L'atomisation est le point de départ du collectivisme et sa condition nécessaire. C'est bien depuis que l'on se gargarise de "droits de l'homme" que la personne tend à disparaître dans l'indifférenciation de la masse.
J'ajoute que le collectivisme n'est pas forcément un étatisme, je pense que cela ne vous a pas échappé. Les comportements grégaires obéissent à des contraintes agglutinantes qui ne sont pas forcément une émanation de la puissance administrative, non?

En ce qui concerne les juifs, bonne vieille tarte à la crème entre parenthèse, je crois que cela mérite quelques nuances: les juifs constituent un peuple sans le moindre collectivisme étatique, mais pas sans la moindre contrainte: n'est pas juif qui veut! on naît juif, il n'y a donc aucun "libre choix". On naît juif par la mère.
La pression exercée par la communauté armée de ses références sacrées sur ses membres favorise les mariages intra-communautaires afin d'assurer sa pérennité. C'est une forme d'aristocratie spirituelle et héréditaire, très éloignée de vos idéaux, mais qui ne me choque pas personnellement, bien au contraire.

"Mordicus : la question n'est pas de savoir si l'individu existe sans la communauté...la réponse est évidemment non ! C'est une évidence biologique."

C'est déjà bien de le reconnaître, c'est ce qui vous différencie du gaucho moyen, et c'est très appréciable. Mais si vous reconnaissez les liens entre les générations, pourquoi tant vous méfier de la patrie par exemple? Patrie, du latin "pater" est le lieu où nos pères ont vécu, et cela n'a rien d'une abstraction, il suffit de se pencher sur l'histoire de sa famille, ce que beaucoup de Français font.
Les juifs, pour reprendre le même exemple, ne l'ont pas oublié...

Sud_Marcos a dit...
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BRUGIER PHILIPPE-ARNAUD a dit...

Et que pense Laure Allibert de l'appartenance à une " communauté " religieuse ou à une Civilisation marquée collectivement par la Religion ?
La Religion libère-t-elle l'individu ou l'asservit-elle ? Et quid de la relation avec le libéralisme ? Le libéralisme est-il "réducteur" aux données socio-économiques et juridiques ou bien le libéralisme permet-il tout au nom de la liberté , au risque de limiter la portée des Religions ( le problème de l'avortement , du suicide , etc...) ?

Laure Allibert a dit...

Philippe-Arnaud, la religion est d'abord une affaire personnelle, et le fait que ça puisse parfois être un "mouvement de masse" n'y change rien.

La religion peut autant libérer l'individu que l'asservir, c'est pour cela qu'un libéral doit être neutre à l'égard de la religion des autres (sauf quand elle enfreint le principe de non agression).

Le libéralisme permet tout au nom de la liberté, dès lors qu'autrui n'est pas agressé. Pour les sujets "limites" comme l'avortement, qui ne sont pas politiques mais plutôt philosophiques (et donc ne peuvent en aucun cas avoir une solution politique), le libéralisme ne peut non plus être coercitif : il propose à chacun de s'en remettre à sa conscience.

Unknown a dit...

"C'est justement ce que j'appelle un individu numérique, une abstraction mathématique. Le groupe nominal "individu égal à" est piégé et je préfère parler de personne humaine ce qui inclut nécessairement des liens qui la dépassent, qui la transcendent.
Prétendre qu'il n'y a rien en dehors de l'individu est une illusion, à mon avis, c'est bien la famille qui est le noyau dur des sociétés humaines, et non l'individu."

Et pourtant, voyez la réalité telle qu'elle est: la famille n'existe qu'en tant que conséquence de l'existence des individus qui la composent. Idem pour un peuple, un pays, une nation et que sais-je encore. Toutes ces choses n'existent que dans la mesure où l'on veut qu'elles existent, elles n'ont d'autre impact sur la réalité que ce que nous leur offrons d'avoir, sans plus. Ce sont simplement des créatures de notre imagination individuelle, elles n'ont pas plus de force que la somme de celles que chacun investit en elles ; en cela elles ne transcendent rien, elles ne font que maquiller notre volonté.

BRUGIER PHILIPPE-ARNAUD a dit...

Je répondrai très amicalement à l'éminente Laure Allibert , que le libéralisme n'est pas incompatible avec la Religion :
En effet , ce sont dans les Nations Religieuses très implantées en Europe où s'est implanté le Libéralisme :
L'Allemagne Luthérienne , la Grande-Bretagne Anglicane , la Suisse Calviniste , les Pays-Bas Jansénistes , les Etats-Unis Baptistes .
Très chère Laure Allibert , vous semblez , " d'une certaine façon " opposer le Libéralisme et la Religion . Peut-être qu'il se pourrait que vous avez une vision française , qui impliquerait une " dichotomie " entre le Libéralisme et la Religion , alors que vous avez , effectivement , justement contribué à me défaire des points de vue français , lorsque que vous avez exprimé , fort justement , d'ailleurs , la différence entre le Régime Légal Français et le Régime Légal Européen , dans nos visions convergentes liées à l'abrogation du monopole de la Sécurité Sociale .

Laure Allibert a dit...

Je n'ai jamais dit que le libéralisme était incompatible avec la religion !! Il se situe sur un plan différent : celui du droit. Il n'est pas fondé sur la religion, mais il n'est pas non plus opposé à la religion. Il est neutre vis à vis d'elle. Cela ne veut pas dire que les libéraux sont antireligieux ou laïques intolérants. Simplement, quand ils s'expriment en tant que libéraux, ils n'utilisent pas d'arguments ou d'hypothèses religieuses.

mordicus a dit...

Bonjour à tous, quelques réactions à ce qui a été écrit récemment dans les commentaires.

"Comment le bien de la communauté pourrait-il être différent du bien de l'individu qui la compose ?"

ça commence à être un peu trop philosophique pour moi! Cependant je ne crois pas que le bien de la communauté ne soit que la somme des biens individuels.
Si l'on prend comme exemple la famille, petite communauté, un individu peut tout à fait considérer que son bien consiste à partir pour refaire sa vie ailleurs. Ainsi le bien individuel se différencie assez nettement du bien de la famille qui explose et de celui des enfants qui en pâtissent le plus, non?

"Toutes ces choses n'existent que dans la mesure où l'on veut qu'elles existent, elles n'ont d'autre impact sur la réalité que ce que nous leur offrons d'avoir, sans plus."

Je crois comprendre, mais j'ai tout de même du mal à adhérer à cette conception très volontariste de la société. Je n'ai pas "voulu" que ma famille existe, je n'ai choisi ni mes parents, ni mon patronyme, ni mon ascendance en général. Ce sont des legs dont j'hérite, que ça me plaise ou non.

Laure Allibert a dit...

- Justement, votre exemple montre bien qu'il n'existe pas un "bien de la communauté", mais le bien de l'épouse et le bien des enfants. Le bien commun ne diffère pas du bien de tous.

- On ne choisit pas ses origines ni sa famille, certes, mais pour autant on n'en est pas esclave. A la limite, on peut complètement les renier, ou inversement s'appuyer complètement dessus pour définir son identité.

mordicus a dit...

Bonsoir Laure et merci pour votre réponse.
Je vais passer pour quelqu'un de passablement obtus et contrariant, mais je me lance tout de même. Les mots me manquent pour exprimer précisément ce que je voudrais expliquer.
Pour moi la famille n'est pas seulement la somme des individus qui la composent, c'est en plus de cela le lien qui les resserre, et ce lien n'a rien d'une construction mentale. Excusez-moi d'être un peu brutal, mais ce lien c'est du sperme et du sang, c'est du concret, du biologique. En quittant sa femme est ses enfants, notre individu ne fait pas seulement souffrir ces derniers en tant qu'individus, il porte également atteinte au lien qui les unissait, non pas en le rompant car c'est impossible, mais en refusant d'en assumer les implications.


Ensuite, je ne pense pas que l'on soit "esclave" de ses origines ni de sa famille, mais il suffit de prendre un peu de recul par rapport à un point de vue très étroit d'individu pour constater que nous sommes inscrits dans une chaîne, une lignée et que nous en sommes un maillon, notre ego dût-il en souffrir.
Je ne suis donc pas convaincu que l'on puisse complètement renier tout cela; les origines ne sont pas seulement dans la tête, elles s'inscrivent aussi dans l'apparence physique.
Il y a un écart énorme entre les fantasmes de toute puissance de l'individu et sa réalité.

Laure Allibert a dit...

Ce lien qui resserre les membres de la famille n'existe pas de façon absolue, intangible et indépendamment des membres de la famille. Par exemple, si le mari battait sa femme et ses enfants, ceux-ci seront sans doute contents de le voir partir. Et le "lien du sang" ne sera alors pour eux qu'une faribole inventée par ceux qui ont des familles heureuses.

Le concept central du libéralisme n'est pas je ne sais quelle puissance ou quelle liberté fantasmatique, mais le consentement. C'est le critère qui est au-dessus des autres. Evidemment il ne s'applique qu'à ce sur quoi on a prise (on n'a pas prise sur son apparence physique ou sur les tares familiales).

mordicus a dit...

Les liens du sang ne sont pas une faribole sinon l'interdit de l'inceste ne serait qu'une pure convention. J'ajoute qu'il existe des atavismes qu'il faut aussi prendre en compte.
La pensée libérale me semble beaucoup plus convaincante lorsqu'elle montre les avantages du libre-échange ou les méfaits du collectivisme que lorsqu'elle pose des fondamentaux anthropologiques comme l'individu par exemple, qui n'existe pas, tout comme l'homme qui n'est également qu'une abstraction que personne n'a jamais rencontré.

Laure Allibert a dit...

Si l'individu est une abstraction, a fortiori les groupements d'individus (familles, entreprises, nations) en sont aussi. Or ces groupements n'ont de sens que par l'individu. Dans un groupe ou hors d'un groupe, ce sont toujours des individus qui agissent ou qui décident. Que des notions transindividuelles puissent s'imposer à eux, c'est possible, mais pour moi ça ne change rien au fait que l'individu soit la seule réalité concrète.

D'ailleurs c'est toujours un ou plusieurs individus qui sont responsables, et non un groupe. Les choix individuels sont rationnels (c'est à dire conformes à une motivation individuelle) alors que les choix collectifs sont incohérents (théorème d'Arrow).

mordicus a dit...

Je vous remercie pour vos liens (Faguet et théorème d'Arrow). Je suis de plus en plus surpris de voir à quel point certains libéraux fournissent une critique du fonctionnement de la démocratie. C'est très intéressant.

"Si l'individu est une abstraction, a fortiori les groupements d'individus (familles, entreprises, nations) en sont aussi."

Oui, ça me semble indéniable. La seule différence avec votre opinion est que pour moi le concept d'individu n'est pas plus concret que celui de famille ou de nation.
Pour qu'un groupe se constitue, il faut un élément fédérateur et c'est cet élément qui fait le groupe. Ce groupe ne me semble ni plus ni moins abstrait que les individus qui le composent.

"Or ces groupements n'ont de sens que par l'individu."

Oui, et inversement, pourquoi vouloir à tout prix accorder à l'individu une primauté qu'il n'a pas?

"Les choix individuels sont rationnels (c'est à dire conformes à une motivation individuelle) alors que les choix collectifs sont incohérents"

Je ne crois pas non plus à "la volonté générale", ça me semble fumeux. Cela dit, si les choix collectifs sont incohérents, les choix individuels ne le sont pas moins à l'échelle d'une vie, même si nous aimons à penser le contraire.

Là encore, le critère de cohérence ne signifie pas que le groupe soit moins concret que l'individu.
Le postulat libéral qui consiste à tout mesurer à l'aune de l'individu est riche d'enseignement, mais ça ne reste qu'un postulat qui n'a rien de démontrable et encore moins d'universel.
Dans certaines cultures, le concept d'individu n'existe tout simplement pas.

Laure Allibert a dit...

"Dans certaines cultures, le concept d'individu n'existe tout simplement pas."

Il existe au moins d'un point de vue social. Quand un individu commet un crime ou un délit, c'est bien lui qui est puni, pas un autre ou un groupe. Maintenant, si vous vous placez sur un plan philosophique ou métaphysique, on peut tout à fait se passer du concept d'individu, mais ce n'est pas sur ce plan que je me place. Je ne dis pas que l'individu est une réalité absolue, je dis que c'est une réalité incontournable quand on analyse les rapports sociaux ou quand on veut concevoir une société vivable. La souffrance est individuelle, la responsabilité aussi, et pour un libéral c'est au degré de coercition que subit un individu que l'on peut juger de la moralité d'une société (il s'agit de la coercition exercée illégitimement par autrui).

"si les choix collectifs sont incohérents, les choix individuels ne le sont pas moins à l'échelle d'une vie"

Ce n'est pas à nous d'en juger, mais à chaque personne concernée. On ne vit pas la vie des autres.

"pourquoi vouloir à tout prix accorder à l'individu une primauté qu'il n'a pas?"

Si vous ne le faites pas, cela veut dire que vous êtes prêt à sacrifier l'individu à un idéal quelconque (patrie pour les nationalistes, égalitarisme pour les collectivistes, etc.). Le sacrifice est toujours immoral s'il n'est pas consenti (on a le droit de se sacrifier soi-même, mais pas de sacrifier les autres).

mordicus a dit...

Bonsoir Laure, vous êtes très pédagogue et patiente et je suis un élève qui a la tête dure, comme vous avez pu le remarquer.

"Je ne dis pas que l'individu est une réalité absolue, je dis que c'est une réalité incontournable quand on analyse les rapports sociaux ou quand on veut concevoir une société vivable."

Mais je suis d'accord, simplement j'estime que la famille, par exemple, est également incontournable. Et si vous me dites que la famille est une abstraction, je vous réponds que l'individu en soi aussi, voilà.

"La souffrance est individuelle, la responsabilité aussi"
La souffrance peut être individuelle, comme elle peut être partagée (compassion).
La responsabilité, c'est répondre de ses actes, mais on peut aussi répondre des actes d'un tiers, un parent pour un enfant par exemple.
D'ailleurs à partir de quand devient-on responsable? A partir de quand gagne-t-on ses galons d'individu? La réponse varie et ne relève que de la pure convention sociale, ce qui montre bien que l'individu est un concept.

"pour un libéral c'est au degré de coercition que subit un individu que l'on peut juger de la moralité d'une société (il s'agit de la coercition exercée illégitimement par autrui)."

Qu'entendez-vous par "illégitimement"? Vous voulez dire une coercition non voulue? Mais alors quand un parent impose à son enfant une contrainte, serait-ce immoral? Mais l'enfant n'est sans doute pas encore pleinement un individu, me direz-vous. Il faut bien reconnaître qu'il n'y a rien de moins libéral que la famille! Et c'est pourtant bien là que se fabrique l'individu, dans cette marmite collectiviste.

Enfin, je crois comprendre que les droits naturels que vous évoquez souvent feraient office de coercition légitime à vos yeux pour un individu achevé. (Est-ce suffisant pour l'éducation de l'enfant?)

"Si vous ne le faites pas, cela veut dire que vous êtes prêt à sacrifier l'individu à un idéal quelconque (patrie pour les nationalistes, égalitarisme pour les collectivistes, etc.). Le sacrifice est toujours immoral s'il n'est pas consenti (on a le droit de se sacrifier soi-même, mais pas de sacrifier les autres)."

Non non, je vous assure, je n'ai pas l'intention de sacrifier mes semblables. Quand je conteste la primauté de l'individu, je veux seulement dire qu'il est un aboutissement, un processus, et non pas un point de départ. Et il me semble que l'individu reçoit toujours beaucoup plus de la société (à commencer par sa famille) qu'il ne lui donne en retour.

Laure Allibert a dit...

"D'ailleurs à partir de quand devient-on responsable? A partir de quand gagne-t-on ses galons d'individu? La réponse varie et ne relève que de la pure convention sociale, ce qui montre bien que l'individu est un concept."

C'est vrai du point de vue du droit positif, qui décide arbitrairement qu'on est majeur à tel âge. Du point de vue libertarien, on est majeur quand on est autonome, donc quand on peut subvenir soi-même à ses besoins.

Une coercition illégitime est une agression contre la liberté ou la propriété d'une personne. Une coercition légitime est celle qui est requise par exemple contre le responsable d'une agression ; ou sur un autre plan, à l'égard d'un enfant, qui est sous la responsabilité de ses parents tant qu'il n'est pas autonome.

"Et il me semble que l'individu reçoit toujours beaucoup plus de la société (à commencer par sa famille) qu'il ne lui donne en retour."

Pas d'accord, on est là dans une relation d'échange. Il reçoit jusqu'à un certain âge, mais ensuite quand il devient autonome il donne aux autres (ne serait-ce que pour gagner sa vie, il doit entrer dans des relations d'échange).

Il faut éviter d'utiliser comme vous le faites des termes comme "la société" qui ne correspondent à rien. Vous pouvez avoir l'illusion que la société donne beaucoup à l'individu, mais qui c'est, la société ? C'est finalement le contribuable ou celui qui paie (l'éducateur ou le médecin "donneraient"-ils s'ils n'étaient pas payés). La gratuité est une illusion, la société ne donne rien !

La famille est une institution à la fois libérale et collectiviste. Collectiviste parce qu'il y a un partage des biens matériels sur la base des besoins plutôt que du seul mérite des producteurs. Libérale parce qu'elle repose sur le consentement (à ma connaissance, on n'oblige pas les parents à avoir des enfants et à les élever). L'éducation d'un enfant peut être coercitive (de son point de vue), mais il n'est pas un être entièrement autonome et responsable.

mordicus a dit...

Bonjour Laure,

Si l'on devient un individu à part entière dès que l'on peut subvenir à ses besoins, alors les enfants ne sont pas encore des individus et ne trouvent leur accomplissement que par la famille, dont l'aspect partiellement collectiviste ne vous a pas échappé. Il est intéressant de constater que l'individu connaît dans sa gestation une étape collectiviste qui va à l'encontre du dogme selon lequel tout lui est subordonné, à mon avis.

Dans la mesure où vous reconnaissez que l'homme est un animal social, pourquoi cette réticence à employer le mot société? Les hommes entre eux forment une société, n'ayons pas peur des mots.

Sur ce que donne la société, il y a un malentendu. Je pensais à la phrase d'Auguste Comte qui affirme que la société est composée de plus de morts que de vivants. Il n'y a pas que le médecin ou l'éducateur, il y a tout ce que les hommes ont inventé avant votre naissance et dont vous bénéficiez. Ce sont des morts comme Bastiat qui ont contribué à forger votre armature intellectuelle. Lorsque vous payez le médecin, ce n'est pas comme si vous inventiez la pénicilline, et lorsque vous payez votre facture EDF, vous ne réinventez pas l'électricité à chaque fois. Ce que vous recevez en tant qu'individu et ce que vous êtes en mesure d'apporter est tout simplement incommensurable. L'individu est toujours débiteur par nature (dette symbolique, vous m'avez compris, je ne suis nullement en train de justifier la spoliation socialiste).

Je ne remets pas du tout en cause les droits naturels de la personne humaine. Je conteste absolument votre théorie selon laquelle l'individu est la réalité ultime et que tout lui est subordonné.
C'est de l'idéologie, on peut y adhérer ou la réfuter.
Cela dit ce n'est pas si grave, je ne suis pas libertarien, et puis c'est tout. Je crois que vous êtes le genre de personne à s'accommoder facilement de ce que les autres ne se rangent pas à son opinion. Cela nous fait au moins un point commun.

Laure Allibert a dit...

La "société" est un terme trop vague qui ne désigne rien de concret. Autant que je sache, ce sont bien des individus qui ont inventé la pénicilline, l'électricité, etc. Et ce qu'ils ont trouvé nous a été transmis par d'autres individus, pas par quelque fantôme ou entité surnaturelle qui s'appellerait "société".

L'autonomie de l'individu dont je parle tant n'est pas quelque chose de donné a priori, c'est quelque chose qui s'acquiert par l'éducation et le mérite propre, avec l'aide d'autres individus (la famille). Je n'ai pas dit exactement que tout était subordonné à l'individu, mais qu'il était le critère ultime en matière d'éthique sociale et de philosophie politique. Je partage l'analyse de Ludwig von Mises à ce sujet, qu'on peut trouver ici.

mordicus a dit...

Il est possible que je vous aie mal lue, auquel cas je vous fais perdre votre temps. Il fallait me le faire savoir plus tôt.

Cette question de la subordination est en effet loin d'être anecdotique! Que l'on fasse de son mieux pour ne pas dépendre financièrement de ses contemporains, c'est une question d'amour propre; mais que l'on ignore ce que l'on doit aux individus qui nous ont précédés, c'est de l'ingratitude, de la fatuité. Chaque individu, par le biais de la transmission, reçoit plus qu'il ne donne, c'est une question de proportion.
C'est peut-être ce qui sépare le libertarien du libertaire qui érige le relativisme en dogme au nom de la toute puissance d'un individu abstrait. Que l'individu soit indivisible, certes, mais qu'il soit indépendant, c'est faux.

En ce qui concerne votre lien sur la page wikibéral, j'ai lu que l'individu était la plus petite unité conceptuelle distincte, pas la plus réelle. Si on reconnaît de la substance à l'individu, on doit en reconnaître à fortiori à la société, et il serait absurde de dire que l'un est réel et que l'autre est fantomatique, puisque l'un ne va pas sans l'autre. L'individu peut s'agréger à des entités sociales qui le dépassent et qui sont tout autant réelles que lui. Comme je vous l'ai déjà écrit, si vous me dites que la société est un concept, je vous réponds que l'individu ne l'est pas moins, dans un ordre de grandeur différent.
C'est pourquoi le critère de réalité ultime n'est pas l'individu abstrait, mais l'action humaine en tant qu'elle est socialisée, c'est à dire inscrite dans un contexte particulier car c'est ainsi qu'elle trouve un sens bien défini:
« ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif. »
« Un ensemble collectif est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel, une chose réelle qui détermine le cours d'événement »